Interventions de Vannina Micheli Rechtman dans la presse

Mâchoire carrée, yeux de chasseurs et "looksmaxxing" : 

ces injonctions physiques masculinistes en vogue sur les réseaux sociaux. 

Une interview de Vannina Micheli-Rechtman sur Franceinfo

Mâchoire carrée, yeux de chasseurs et "looksmaxxing" 

Interview de Vannina Micheli-Rechtman

 

Article rédigé par Audrey Abraham

Franceinfo

 

Le hashtag #looksmaxxing, qui prolifère sur TikTok et Instagram, multiplie les injonctions physiques à l'égard des jeunes hommes diffusant des idéaux particulièrement misogynes.

Les femmes ne sont pas les seules destinataires des tendances sur les réseaux sociaux. Un énième hashtag grandit ces dernières semaines : #looksmaxxing. Comprenez "maximiser son apparence". 177 000 publications sur TikTok, 40 000 sur Instagram. Des injonctions physiques à destination des jeunes hommes, les encourageant, par exemple, à rendre leur mâchoire plus carrée, symbole de virilité.

Parmi ces conseils, celui de garder la langue collée contre le palais, pour "modifier la structure de ton visage", assure un de ces influenceurs, croquis à l'appui. Ou encore mâcher du chewing-gum, mais pas n'importe lequel : "Achète plutôt du Mastic de chios, des chewing-gums plus durs". Dernier conseil, "descendre en dessous des 12% de masse grasse corporelle". "Si tu appliques ces trois choses pendant assez longtemps, conclu l'influenceur, tu seras beaucoup plus attirant."

"Jawline" et "mewing"

Autre atout pour parvenir à l'apparence ultime : "les yeux de chasseurs." Toujours sous le hashtag #looksmaxxing, un autre influenceur assure pouvoir vous aider à obtenir un regard plus défini en pratiquant "le mewing". Il s'agit là aussi de garder sa langue collée contre le palais, "tout en respirant par le nez", ajoute le jeune homme. Objectif : exercer une pression constante sur l'os maxillaire "ce qui favorise la croissance vers l'avant et vers le haut." Objectif : accentuer sa "jawline" (ligne de mâchoire), selon l'expression consacrée désormais ultra-populaire sur les réseaux sociaux.

Quelques vidéos en français, la grande majorité en anglais, dans lesquelles des jeunes hommes testent tout un tas d'accessoires pour favoriser la mastication, redresser sa posture, améliorer sa qualité de peau, soigner sa coupe de cheveux... Et cela peut aller jusqu'à la chirurgie esthétique : certains se font opérer pour obtenir la mâchoire idéale.

Derrière cette tendance, la multiplication des symboles virilistes et masculinistes. C'est ce que constate Vannina Micheli-Rechtman, psychiatre spécialiste des représentations contemporaines du corps : "C'est très éloquent sur la question des yeux de chasseurs : un idéal esthétique qui considérerait que pour séduire les femmes, il faut avoir des yeux de chasseur face aux femmes qui seraient des proies. On en revient à des choses tellement anciennes dans nos représentations du rapport homme femme, c'est terrible."

"Des représentations archaïques"

Cette évolution traduit un véritable fait de société. Dans son dernier rapport, le Haut Conseil à l'égalité signalait l'augmentation notable du sexisme chez les jeunes : "C'est très surprenant, c'est très dissonant par rapport à l'évolution de notre société. Comment est-ce possible que le sexisme augmente chez les jeunes dans des représentations archaïques ? On a l'impression d'être en 1950."

Des représentations insidieusement véhiculées sur les réseaux sociaux, ajoute la psychiatre. "Là, on constate qu'il y a des diktats maintenant qui pèsent sur le corps des hommes, alors que globalement les diktats étaient plus importants sur le corps des femmes. Il faut absolument être vigilant et éduquer sur ces questions. La place des images sur les réseaux sociaux influence considérablement ce type de phénomène", souligne l'autrice du livre Les Nouvelles beautés fatales - Les troubles des conduites alimentaires comme pathologies de l’image.

Au-delà de la régression de la société, ces tendances peuvent aussi avoir des conséquences sur la santé physique et mentale des usagers des réseaux sociaux. Des usagers parfois très jeunes qui sont en pleine construction. "La représentation de soi, la représentation de son corps, ça s'inscrit au fond depuis l'enfance. La manière dont l'entourage peut parler du corps de son enfant, c'est très important. Les discours autour du corps d'un sujet sont absolument fondamentaux. Être dans des injonctions où ça ne va jamais, ou pour plaire, il faut absolument se conformer à des diktats. C'est sûr que ça provoque une estime de soi qui devient défaillante et c'est dangereux."

"La tyrannie du visage Instagram"

La psychiatre reçoit de plus en plus de patients atteints de troubles de la santé mentale : "Je constate l'augmentation des troubles des conduites alimentaires, anorexie et boulimie, chez des jeunes hommes parce qu'il y a ce problème de la dysmorphophobie, c’est-à-dire de ne plus vraiment supporter son corps tel qu'il est. Il y a une espèce de tyrannie du visage Instagram qui est frappante."

Les risques pour la santé physique sont tout aussi inquiétants :"La maigreur, c'est très dangereux. En plus, chez les très jeunes, ça stoppe la croissance, ils ne grandissent plus. Les restrictions alimentaires sont dangereuses, ça, c'est une c'est une évidence. C'est absolument sidérant à quel point, ils sont capables de s'infliger des souffrances, des douleurs pour ressembler à soi-disant un idéal qui serait celui des réseaux sociaux."

Le paroxysme de ces aberrations étant évidemment les opérations de la mâchoire dont certains hommes vantent les mérites en vidéo : "Comment avoir l'idée de faire ces opérations de chirurgie esthétique tellement lourde ? C'est une opération à la fois très chère et très lourde. Ce sont des mois d'immobilisation. Il est absolument essentiel de mettre en garde les jeunes hommes et essayer de tenir un autre discours, à savoir qu'on a le corps que l'on a. Il est important d'habiter son corps, de se sentir bien dans son corps tel qu'il est." Malgré ces avertissements, la psychiatre assure observer une nette augmentation des opérations de chirurgie esthétique chez les hommes entre 18 et 35 ans.

Les nouvelles beautés fatales l'article du quotidien Le Monde